Takakia au Tibet : les adaptations d’une mousse en haute altitude

La mousse Takakia lepidozioides, une plante rare du plateau tibétain, a suivi un remarquable chemin évolutif vieux de dizaines de millions d’années pour s’adapter à la haute altitude. Dans une étude publiée dans Cell, un consortium international de recherche dirigé par des scientifiques de l’Université de Freiburg et de la Capital Normal University de Pékin a reconstruit l’évolution de Takakia et révélé les traits génétiques associées à son adaptation à l’un des environnements les plus hostiles de la planète. L’étude montre également comment le changement climatique a radicalement modifié l’habitat naturel de cette espèce en l’espace de quelques années, la menaçant d’extinction.

Il y a 65 millions d’années, le plateau tibétain s’est soulevé suite à la collision Inde-Asie, atteignant une altitude de plus de 4 000 mètres. Cet événement géologique spectaculaire a forgé l’un des environnements les plus hostiles de la planète, caractérisé par la persistance du gel pendant des mois et l’exposition à des radiations solaires intenses. Pourtant, le plateau tibétain est également connu pour être un environnement extrêmement riche en biodiversité. Comprendre comment les organismes s’adaptent à des conditions extrêmes constitue donc une question centrale en biologie évolutive.

Le genre Takakia ne comprend que deux espèces, toutes deux endémiques du plateau tibétain. C’est là que des populations de l’espèce Takakia lepidozioides ont été découvertes en 2005 et ont été étudiées depuis, à la fois dans leur environnement naturel et en laboratoire. Grâce au séquençage complet du génome, le consortium scientifique composé de 61 chercheurs auquel a pris part Hugues Renault de l’IBMP a pu établir que Takakia a divergé des autres mousses il y a environ 390 millions d’années, ce qui en fait l’une des plantes vivantes les plus anciennes. L’étude du génome a également révélé un nombre inhabituellement élevé de gènes évoluant rapidement sous l’effet d’une sélection positive. De façon inattendue, les chercheurs ont pu montrer que la morphologie de Takakia a très peu varié depuis au moins 165 millions d’années par comparaison avec des fossiles remontant à cette période.

Sur le plateau tibétain, Takakia lepidozioides est enfouie sous la neige pendant huit mois, puis est exposée à un rayonnement solaire intense le reste de l’année. L’étude montre que Takakia a acquis des traits génétiques, notamment liés à la protection métabolique contre les rayons UV et les radicaux libres, afin de s’adapter et survivre dans ces conditions extrêmes. L’étude a également mis en évidence la dynamique de ces adaptations génétiques, qui sont progressivement apparues suite au soulèvement du plateau tibétain. Cependant, malgré sa capacité manifeste à s’adapter à des changements environnementaux majeurs au cours de son évolution, Takakia est aujourd’hui confrontée à une modification rapide de son habitat, avec une température moyenne augmentant de 0,43°C chaque année. Alors que certaines espèces bénéficient de ces changements, les populations de Takakia lepidozioides affichent un déclin alarmant, illustrant la rapidité avec laquelle le changement climatique menace des espèces vivant dans des écosystèmes vulnérables.